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Elle

Tout a commencé dix ans plus tôt. J'étais encore un petit gamin naïf. Je n'étais cependant pas un garçon turbulent, à l'époque. Je ne l'ai d'ailleurs jamais été, pas même à l'adolescence. Je suis resté calme. Je suis ce que les gens appellent le plus souvent "un garçon mature". Mais mon calme n'a jamais rien eu à voir avec ça ; la maturité ou l'intelligence. Cela dit, ça fait partie de ce dont je n'ai pas le droit de parler. Et de toute façon, je m'en fiche de ce que pensent les autres. Ce n'est pas du tout le problème !

 

Comme je disais, j'étais très sage. Les instituteurs ne me faisaient presque aucune remarque. Dans toute ma scolarité, les enseignants ont toujours été très respectueux envers moi. Pourtant... J'en ai tué un. J'avais seulement sept ans.

 

C'était le 13 mai 2005. Un mardi. 

 


Mon meilleur ami, Jimmy, n'était pas venu à l'école, mais je redoutais déjà de savoir pourquoi. Je ne voulais pas y croire, mais comme c'était toujours la vérité, je savais bien que ça ne servait à rien d'espérer. 

 


Et, au fur et à mesure de l'avancement de la journée, mon appréhension augmentait. Comme personne ne semblait au courant de la même chose que moi, j'ai fini par croire que, pour une fois, ça pouvait être différent ! 

 


Ça aurait été tellement bien, mon journal ! Tellement génial si ça avait été le cas ! Que tout s'arrête, que je redevienne un gamin comme les autres, qui peut faire des conneries sans avoir peur de ce qui vient après ! 

 


Cet espoir m'a envahi, m'a submergé. Je voulais y croire, de toutes mes forces... 

 


Comme mes parents – me pensant eux aussi "mature" - me faisaient confiance, déjà à cette époque, je rentrais seul chez moi après les cours. Et ce jour-là, j'ai d'abord décidé de trouver mon institutrice principale, madame Lafleur, pour lui demander ce qu'elle savait sur l'absence de Jimmy. 

 

J'avais tellement peur. Ce genre d'angoisse qu'on a, et qui nous fait faire n'importe quoi. C'était exactement ça, et j'ai vraiment foutu le bordel. Aujourd'hui encore, en y pensant, j'ai des frissons. 

Je lui ai demandé de but en blanc si c'était vrai que le père de Jimmy avait eu un accident très grave, qui l'avait tué. J'ai demandé si c'était bien pour ça que Jimmy n'était pas venu en cours ce jour là. 


Je suis allé droit au but, sans la moindre forme de délicatesse – si tant est que j'étais capable d'en avoir à cet âge. L'institutrice était, quant à elle, devenue livide comme un cadavre. On aurait dit qu'elle venait d'avoir eu une attaque. Elle tremblait, et j'ai alors compris que sa bonne humeur de la journée était trop exagérée pour être sincère. Elle était artificielle ! 

 

Non... Je ne l'ai pas compris moi-même, mais tu verras ça plus tard, mon cher journal. 

Mais ce que je redoutais était encore une fois arrivé. Mes espoirs se sont immédiatement évaporés. 

 

J'ai su que c'était vrai, encore une fois. Et je me suis mis à frémir. 

  

Elle a nié, disant que que Jimmy avait juste un peu de fièvre et que son père allait très bien. Mais sa voix tremblait. Elle racontait des histoires, un enfant de cinq ans l'aurait remarqué. Moi, j'étais dépité, triste, paniqué. Je ne faisais plus du tout attention à ce que je disais. 

 

J'ai alors commencé à lui crier dessus, à lui hurler qu'elle mentait, que je le savais et qu'elle se moquait de moi. Ça l'a d'abord étonnée. Elle est restée étonnamment calme pour quelqu'un qu'on engueule de cette façon. Puis elle m'a demandé comment je le savais. 

  

Et là, je l'ai dit. J'ai répondu que c'était Elle qui me l'avait dit la nuit dernière. 

 

J'en avais déjà beaucoup trop dit. Il était trop tard. 

 

Elle m'a demandé de quoi je parlais, l'air perplexe. 


Je ne pouvais pas revenir en arrière, alors je lui ai tout raconté, à contre-cÅ“ur. 

 

Je lui ai dit que c'était un être dont je ne connaissais ni le nom ni l'apparence véritable, qu'Elle venait tous les soirs me murmurer des choses sur mon avenir, me révéler quels évènements tragiques risquaient d'arriver le lendemain. Je lui ai également dit que jamais Elle ne m'avait raconté de choses fausses. 


De plus en plus blême, elle m'a demandé depuis combien de temps j'entendais cette voix, mais je n'ai pas voulu répondre. 

Il était trop tard, le mal était fait. Je savais que la personne en face de moi, cette innocente enseignante, allait mourir. Je me suis mis à pleurer à chaudes larmes. 

 

Elle m'a dit que je n'avais rien fait de mal, elle a essayé de me consoler, mais je n'ai pu que répondre d'une voix faible que j'étais désolé et que je devais partir.

 

Et je me suis enfui de la classe, avant qu'elle ait eu le temps de m'en empêcher. Je savais bien qu'elle passerait sa soirée à se poser des questions à mon sujet... 

 

Maintenant que j'y pense, ça aurait pu être encore plus grave. Madame Lafleur aurait pu répéter ce que je lui avais dit à d'autres personnes... Je crois que je ne m'en serais jamais remis. 

 

La nuit suivante, Elle est revenue, celle qui me parlait. Elle était furieuse contre moi, mais n'en a rien dit. Elle s'est contentée de me murmurer des choses de sa voix horrible, en me caressant d'une façon très malsaine, comme un psychopathe l'aurait fait... Comme toujours. 

 

 ''Ne t'amuse pas à aller jusqu'à l'école demain, mon petit George. Madame Lafleur ne pourra pas donner son cours demain. Ni plus jamais...'' 

 

J'avais envie de sangloter, car je savais que ça allait arriver. Mais je ne l'ai pas fait. J'ai essayé de rester de marbre devant Elle. Mais, après m'avoir dit ça, Elle m'a regardé droit dans les yeux. C'est très rare quand Elle le fait car, la plupart du temps, on n'entend que sa voix. Elle n'a pas vraiment de corps physique. Enfin si... Mais Elle ne s'en sert que très rarement. Et c'est toujours terrifiant. 

 

Ce jour-là, je voyais mon institutrice, un couteau dans le ventre, baignant dans son propre sang, encore parcourue de spasmes. Et Elle était derrière, et lui murmurait des choses. Elle lui disait que mentir, c'était aussi mal pour un enfant que pour un grand. Le spectacle était insoutenable, mais je n'avais pas le choix. Je devais attendre qu'Elle me libère. 

 

Et la vision m'a terrifié, et me traumatise encore aujourd'hui. Mais pas parce que je voyais la mort ; parce que je savais que c'était en partie de ma faute. 

 

Quand j'ai perdu le contact avec son esprit malsain, j'ai encore entendu son horrible voix... 

 

''Tu ne dois JAMAIS parler de moi. Sinon, je devrai le tuer. Tu connais la règle, pourtant, mon petit George.'' 

 

Et Elle avait raison : Elle tuait tous ceux à qui je parlais de son existence. Moi, elle ne pourra jamais rien me faire, car elle est à mon "service" depuis ma naissance. Un être supérieur, très certainement un démon, l'a enchainée à moi pour qu'elle me murmure des choses sur le monde, le futur, et les vérités que tout le monde veut me cacher. Elle me souffle les réponses de toutes les questions que je me pose, m'avertit de tous les drames à venir, et ne me fait jamais le moindre mal. 

 

Mais elle tue sans pitié le premier à qui j'en parle. 

 

Quand je suis revenu à l'école, le lendemain, madame Lafleur n'était pas là. 

Elle avait fait son Å“uvre. 

 

Nous avons été sans enseignante pendant une semaine, pour qu'ils nous trouvent une remplaçante, et nous sommes restés chez nous. Pour toute la classe, c'était une joie. On ne leur avait rien dit, et ils ne savaient qu'une chose : ils n'avaient pas de cours. Mais moi, je restais dans ma chambre. Je ne voulais parler à personne. Je savais pourquoi notre institutrice ne pouvait pas assurer son cours... C'était à cause d'un horrible démon dont je ne peux me défaire ! 

 

La police a mené une enquête dans mon quartier, suite au meurtre. Mes parents me laissaient regarder les informations, et je voyais l'avancée de l'enquête. Comme aucune trace de coupable n'avait été retrouvée, ils en ont conclu que mon institutrice s'était suicidée. Quand cette information est sortie de la télévision, Elle était là. Ça l'a bien fait rire. Elle a traité les enquêteurs de tous les noms imaginables. 

 

Moi, j'avais envie de lui lancer la fourchette que je tenais, mais Elle n'aurait pas été blessée. Et ça n'aurait fait qu'aggraver la situation en alarmant mes parents, alors je n'ai rien fait. 

 

Après ça, pendant des années, j'ai eu horriblement peur de parler aux autres. Je suis devenu plus distant envers tous mes amis, même mes parents. Je suis devenu, au fil des ans, très solitaire. Et j'ai, de fil en aiguille, fini par être rejeté de beaucoup de monde. Mais je m'en fichais : au moins ils survivraient. 


 

Ça ne l'a pas empêchée, à Elle, de revenir me parler par la suite. Elle me murmurait toujours ce que j'avais besoin de savoir. À chaque fois, sa voix semblait plus malsaine, plus cruelle. J'ai même fini par en faire des cauchemars, pendant un temps. J'ai vite arrêté, grâce à l'habitude. 


Plus les jours passaient, et plus je sentais en moi cette colère de voir les gens ensemble et heureux. Je me suis mis à détester les gens normaux. 

  

Plus je les voyais, plus je ressentais du dégout. Et quand ils se sont mis à se moquer de moi, le petit gars qui reste toujours tout seul dans son coin, je les ai encore plus détestés. Alors que j'essayais de les protéger d'Elle, ils me ridiculisaient, me traitaient en moins que rien et me rendaient la vie encore plus impossible jour après jour. 


Chaque soir, Elle revenait et avant de me murmurer mon avenir, Elle me provoquait. Elle me répétait, parfois même plusieurs fois, que la seule fois que j'avais parlé d'Elle à une personne, elle était morte. Elle me rappelait si souvent que j'avais fait tuer madame Lafleur que j'ai fini par ne plus m'en sentir coupable. 

 

J'ai quand même réessayé d'en parler à quelqu'un, juste une fois, pour voir, en humanité. C'était mon meilleur ami de l'époque, Christophe. Enfin, "meilleur ami"... il se disait comme tel – et ce n'était pas difficile, vu le peu d'amis que j'avais - mais dès qu'il pouvait m'abandonner pour draguer une minette ou rejoindre un groupe de gars plus branchés, il n'hésitait pas. 

 

Je ne l'appréciais pas vraiment. En fait, je crois que je le détestais encore plus que les autres. Il était hypocrite, vantard et idiot. Si Elle devait revenir et le tuer, ce qui était plus que probable... Il ne me manquerait pas, ni à personne d'autre. 

 

Je l'ai tiré à l'écart, et je lui ai tout raconté. La voix dans ma tête, ce qu'Elle me disait, depuis quand ça durait, comment je savais ce qui arrivait de grave à telle ou telle personne... Il a semblé sceptique, jusqu'à ce que je lui révèle que sa mère était lesbienne, et l'avait eu par fécondation in vitro, et que c'était pour cette raison que personne ne voyait jamais son père lors des réunions parents-enseignants. Et ce secret-là, Christophe était le seul à le connaitre. Seul, avec la voix qui me parle... Et de ce fait, avec moi. 

 

Il m'a quitté, blême, étonné, bouleversé. Sans doute effrayé, aussi. Mais je ne lui avais bien entendu pas dit ce qui arrivait quand j'en parlais. En fait, j'étais intimement convaincu que ça n'avait pas cessé. Je savais que je l'avais condamné à la mort. Bizarrement, j'en étais presque... Heureux. 

 

Il ne m'a pas envoyé de message de la soirée, même pas pour me traiter de "fils de pute" ou encore de "débile", comme il avait l'habitude de le faire. Ce n'était pas méchant, c'est ce qu'il disait. C'était "juste pour rire". Moi je n'aimais pas trop cette habitude. Et ce soir-là, ça n'est pas arrivé. Ça n'est plus jamais arrivé d'ailleurs : le lendemain, il s'était tranché la gorge avec un couteau de boucher. 

 

Elle l'avait tué, lui aussi. Elle lui avait murmuré de mourir, et il l'avait fait. 

 

Mais Elle n'est pas revenue me le dire, cette fois. Elle savait bien qu'au fond, je voulais ce qui était arrivé. Quand Elle est revenue me murmurer mon avenir, plus tard dans la soirée, jamais Elle ne m'a semblée aussi douce avec moi. Elle avait l'air contente... 

 

D'ailleurs, parfois, quand je parle de cette malédiction à quelqu'un que je n'aime pas, pour qu'Elle vienne mettre fin à ses jours ensuite, j'ai l'impression de voir sa silhouette du coin de l'Å“il, qui me regarde. Elle semble toujours au bord de l'extase... 

 

Voilà, cher journal, ce que je devais à ce point te dire. Tu comprends maintenant pourquoi tu es le seul à qui je pouvais parler librement.
Le seul qui ne disparaitrait pas mystérieusement après avoir tout entendu. Un véritable confident, tu vois le genre ? 

 

Et maintenant, je dois bien entendu veiller à ce que personne ne te découvre. Elle est toujours là, tu sais. Et si quelqu'un te lisait... 

 

Elle le tuerait...

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